23 avril : des livres qui brûlent, des mots qui résistent.
Ici en Haïti, le 23 avril sent la fumée et sonne vide, la fumée de la Bibliothèque Nationale d'Haïti brûlée et dévastée par les bandits le 3 avril 2024 emportant avec elle un patrimoine vieux de plus de 80 ans avec des livres datant de plus de deux cent ans ; le vide historique et littéraire laissé par le départ de notre mapou Franckétienne en février dernier. Ici, la journée mondiale du livre résonne avec fracas, le fracas d'une littérature qui résiste en dépit de la violence et de barbarie de ces dernières décennies. Aujourd'hui, en Haïti, la journée mondiale du livre et du droit d'auteur est un silence lourd, un contraste entre une fumée dévastatrice et des étincelles qui jaillissent, sous la forme de clubs et groupement littéraires, mais aussi de prix et distinctions de nos auteurs.trices qui ne cessent de porter notre littérature et notre résistance plus loin.
Une mémoire en fumée
Le 3 avril 2024, la Bibliothèque Nationale d'Haïti, est parti en fumée, emportant avec elle un patrimoine littéraire, scientifique et culturel de plus de 60 000 livres dont certains sont des œuvres rares, anciennes de plusieurs centenaires. Première bibliothèque publique du pays, elle fut fondée le 11 septembre 1939 et inaugurée en 1940 sous la présidence de Sténio Vincent. En dépit des ravages dévastateurs du tremblement de terre, du cyclone Hazel, elle a continué à servir comme un patrimoine historique, culturel et littéraire, à la rue du centre, jusqu'à ce soir, où tout partit en vrille. Jusqu'à ce funeste soir où les mots n'ont servi à rien, où l'histoire s'envolait dans les flammes, où le verbe s'est volatilisé. La bibliothèque nationale ne fût pas seulement un bâtiment de livres et de papiers, ce fût aussi un refuge de savoir, un carrefour pour les chercheurs, les étudiants et les passionnés de lecture, un arbre de mémoire.
Lire malgré tout
Cependant, malgré tout cela, Haïti lit encore. Des clubs de lecture et groupements littéraires germent, fleurissent ici et là. Dans un restaurant de la ville ou dans une cour, des jeunes, passionnés de littérature, se réunissent autour d'un roman, un recueil de poésie, un texte inédit. Des écrivains, entourés d'amants littéraires, sur un lutin virtuel ou dans une bibliothèque, racontent les aléas du métier, discutent d'un livre fraichement paru, animent un débat autour d'un bouquin. Ces espaces de rencontre, sont plus que des lieux de lecture, ils représentent des laboratoires d'idées, des résidences d'écriture informelles où les prodiges peaufinent leurs écrits, apprennent, discutent, réfléchissent et résistent. Car lire est aujourd'hui un acte de résistance, une arme de résilience, un refuge contre la violence physique, sociale et littéraire. C'est aussi ces écrivains qui font briller la littérature haïtienne sur la scène internationale, qui portent nos histoires, nos combats, notre quotidien dans un bouquin pour oser espérer, oser vivre, en osant écrire.
C'est Louis Philipe D’Alembert qui reçoit le prix Goncourt de la poésie 2024 ; c'est Lionel Trouillot qui figure comme finaliste pour le grand prix du Roman Métis 2024 ; c'est Philippeson Juste qui remporte le premier prix du concours de poésie de Plougasnou en octobre 2024 ou encore Gary Victor, finaliste pour le prix des 5 continents de la francophonie en 2025. C'est aussi Rose Marthe Saint Louis qui remporte le prix poésie Jean Elie François en écrivant dans sa Lettre au soleil : "En pénurie d'encre je t'écris, avec mes larmes tuméfiées depuis ce pays calciné, sous un ciel misanthrope assoiffé de sang. " Mais de l'autre côté de la fête, c'est aussi la problématique du droit d'auteur en Haïti qui reste entière même après tous ces combats. Aujourd'hui encore, Les œuvres sont souvent diffusées sans autorisation, dans un contexte où les jeunes écrivains manquent d’accompagnement, de protection et de recours face à la piraterie, un flou juridique qui décourage la production littéraire locale.
Nous célébrons aujourd'hui la journée mondiale du livre et du droit d'auteur dans un contexte particulier. Si les livres brûlent, les mots, eux, continuent de vivre. Ils se glissent dans les cahiers froissés, dans les conversations passionnées, dans les petits clubs de lecture qui germent malgré tout, dans les quartiers rongés par la violence et la marginalisation. Lire, c’est se souvenir autrement, écrire c’est lutter car la littérature est une autre manière de dire notre histoire. Elle documente nos combats, elle est l'histoire racontée par les cœurs, et non pas seulement les dates. Les livres sont souvent un miroir de nos luttes sociales, politiques et culturelles. Aimé Césaire disait :" un peuple c'est sa langue, sa culture, sa littérature, sa mémoire." En cette journée mondiale du livre et du droit d'auteur, célébrons ces auteurs qui tiennent le pays vivant par leurs écrits, qui nous offrent un refuge dans leurs œuvres et nous laissent un penchant d'amour, un petit coin de romance pour les générations futures. Célébrons leurs victoires, leurs histoires. Célébrons aussi ces espaces porteurs d'espoir dans un pays dévasté par la violence, ces cocons littéraires, ces remparts d'un quotidien sombre et sinistre. Que vive la littérature.
Pouchenie Blanc
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