A l’ombre de la Citadelle Henry
Aujourd’hui, 08 octobre 2018, est l’anniversaire de la mort du général, héros de l’indépendance, le roi Henry Christophe couronné sous le nom de Henry 1er. Né à la Grenade le 06 octobre 1767[i], ce combattant de Savannah[ii] devint un protagoniste majeur de la lutte pour l’indépendance de Saint-Domingue devenue par la suite Haïti. On le surnomme « le Roi Bâtisseur » à cause de ses réalisations d’édifices monumentaux dont, en particulier, la Citadelle Henry juchée sur les hauteurs de Milot au Bonnet-à-l’évêque. Il est plus que jamais nécessaire de discuter de son héritage et de son influence en tant que personnage historique sur le département qui se réclame de lui –Le Nord- et le Cap-Haïtien en particulier. Et ce, dans le contexte de l’imminence d’une possible commémoration des vingt ans de sa mort en 2020.
- Henry Christophe, héros de la guerre d’indépendance
Le premier fait historique dans lequel apparait le personnage de Christophe n’est certes pas la bataille de Savannah ni sa lutte aux cotés de Dessalines et Toussaint après 1791 mais l’arrivée de l’armée expéditionnaire de Bonaparte au port du Cap-Haïtien le 29 janvier 1802, Cap-Français à l’époque. Selon Thomas Madiou[iii], historien, il refusa de céder la ville à Leclerc. Il lui écrivit la déclaration demeurée célèbre :
« Si vous avez la force dont vous me menacez, je vous prêterai toute la résistance qui caractérise un général ; et si le sort des armes vous est favorable, vous n'entrerez dans la ville du Cap que lorsqu'elle sera réduite en cendres, et même sur ces cendres, je vous combattrai encore ».
De quoi faire tressaillir plus d’un !
Mais attention, controverses ! Leclerc l’ayant mis hors la loi, il se battit contre celui-ci jusqu’au mois d’avril au terme duquel il se soumit tout en étant maintenu dans son grade de général de brigade. Pourquoi cette défection et ce passage aux rangs ennemis ? Toujours est-il qu’il se rangea à nouveau du côté des esclaves insurgés et qu’il contribua grandement à la défaite française de novembre 1803 qui marqua la fin de la guerre d’indépendance.
- Henry Christophe, Henry 1er, chef d’état
Officier indigène signataire de l’acte d’indépendance, Christophe jouit de prestige parmi ses pairs. Il fut fait général en chef de l’armée par un décret impérial du 28 juillet 1805. Cependant, le débat n’est pas clos pour déterminer sa responsabilité dans l’assassinat de Dessalines. Ignorance, passivité ou participation ? Rien n’est certain. Toutefois, les généraux insurgés lui offrirent le pouvoir à condition de le limiter par une constitution, ce qu’il accepta. Le général Pétion, commandant de l’Ouest, ne reconnut pas son pouvoir et convoqua une assemblée constituante à Port-au-Prince. Celle-ci élit Christophe président de la république pour quatre ans avec un pouvoir limité. Christophe protesta, déclarant ne pas avoir plus de pouvoir qu’un caporal mais devint président le 28 décembre 1806. Outré cependant par la puissance du Sénat, il marcha sur Port-au-Prince. Aussitôt repoussé, il fut mis hors-la-loi par les sénateurs qui élirent Pétion à sa place. On était à l’aube de la scission du pays, car Christophe se fit alors président en 1807 puis établit le royaume du Nord en 1811 en prenant le titre de Henry 1er.
Le monarque se montra un remarquable administrateur. Il promulgua un ensemble de codes de lois afin de réglementer le fonctionnement du Royaume du Nord. Dans le domaine médical, il se montra soucieux de sa population en construisant des hôpitaux et en organisant une assistance médicale gratuite. Il ne laissa pas l’éducation de côté. Le monarque mit en place un réseau d’écoles dont des écoles professionnelles et une Académie Royale. Il voulut en ce faisant éveiller les citoyens à la conscience nationale et former des gens utiles à la nation. Le Roi Bâtisseur accorda une grande place à l’industrie et fit construire des usines pour le traitement du coton ainsi que l’armement. Il créa un système agricole de grande propriété qu’il s’attacha à faire fructifier. Le Royaume du Nord connut la prospérité, mais on lui reprocha cependant son autoritarisme. Le Roi Bâtisseur doit ce surnom aux grands édifices qu’il construisit. Citons : la Citadelle Henry et le somptueux Palais Sans-Souci et le Palais de la Petite-Rivière de l’Artibonite.
- Henry Christophe dans la mémoire
Aujourd’hui, il ne reste apparemment de Christophe que la « fierté Christophienne » dont se targuent les gens du Nord et les monuments qu’il nous a laissés. Mais il y a bien plus en réalité. Aujourd’hui, 08 octobre a été déclaré « congé départemental ». Ce qui signifie deux choses, l’une étant que Christophe suscite encore respect et admiration dans le Nord et l’autre que le Nord en tant que département se l’approprie et en fait son héros, critiqué certes mais presque déifié. Comme pour prouver cela, deux établissements universitaires de ce département portent son nom : l’Université Roi Henri Christophe et le Campus Henry Christophe de Limonade.
A quoi cela nous amène-t-il ?
Nous devons noter qu’il y a encore un esprit d’appartenance, une sorte d’étincelle de patriotisme autour de la personne de Christophe et nous devons nous dire que cela peut servir. Servir à ressusciter la flamme de l’amour de sa nation et fédérer tous les citoyens autour d’un projet commun. Pourquoi ne pas bâtir un projet de renouveau civique autour de ce personnage ? Pourquoi ne pas éduquer les élèves dans un esprit de grandeur tandis que chacun aura raison de se targuer de fierté ? Pourquoi ne pas renouer avec l’esprit du progrès et redresser la barre alors que nous vivons à l’ombre de la Citadelle Henry ?
[i] John Vandercook, Black Majesty: The Life of Christophe, King of Haiti, Harper and Brothers Publishing, 1928, p. 6
[ii] Bataille de la guerre d’indépendance américaine
[iii] Thomas MADIOU, Histoire d'Haïti, 1847-1848, t. II, chap. 22, p. 142
Jean-Elie François
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