Placage en douceur


« Les larmes qui coulent ne font pas de bruit. »

Des paroles courtoises parfumaient l’ambiance entre les deux. Pourtant, l’air était lourd et irrespirable. Aucun des deux ne voulait s’approcher trop près de l’abîme. Il valait mieux s’en abstenir parce-que sinon ce serait le vertige … puis la chute … puis le choc … et le silence. Ce silence qui venait de les draper d’un coup. « C’est ma décision. » avait-elle dit. Il fit errer son regard quelques secondes et vit cette belle jeune fille accoudée au bar. « Non ! » se répéta-t-il mentalement. Comment pouvait-il penser à cela en pareille occasion ? Son regard quitta la fille et passa aux bouteilles qui reflétaient la lumière douce et tamisée du bar. Il vit à nouveau son visage dans la pénombre. « Je comprends. » lui répondit-il, mais il ne comprenait rien. C’était une bonne parade à des questions gênantes. Elle était un as de l’interrogatoire et lui un mauvais menteur.
Ils sortirent.
Il eut ce dernier geste galant de lui ouvrir la porte du taxi qu’elle avait arrêté. Puis il se mit à marcher. Il pensa que ce devait être ça, un atterrissage forcé. En plein vol. Fuite dans le réservoir. Panne sèche. Aucune piste en vue … et splash dans la mer ! Il repassa mentalement la conversation qu’ils venaient d’avoir. Elle s’était montrée insistante pour qu’ils puissent se parler ce soir-là. Il arriva pourtant le premier et elle eut quelques minutes de retard. Il était alors en train d’esquisser un poème sur le bloc-notes de son smartphone :
L’amour n’avait pas de visage
Je lui ai donné le tien
Sans toi, il n’est rien
Rien qu’un mirage
Il le lui montra. « Cool ! » lança-t-elle. Puis : «Ça fait un moment que je voulais t’en parler, mais dis-moi, comment vas-tu ? ». Il ne répondit pas tout de suite. Il la fixa comme pour lire dans son âme puis il dit : « Bien, je vais bien et pour toi ? ». Il la complimenta en des termes proprement élogieux : « Tu as la beauté d’une matinée de printemps et la grâce d’une colombe. »
-          Merci mon cher, je ne puis te retourner le compliment car mes mots risqueraient de te paraître fades. Je vois que tu es toujours aussi poétique dans tes propos.
-          Je n’ai jamais cessé d’être inspiré par la charmante personne en face de moi, je t’assure.
-          En face de toi ? Et si je change de place ?
-          Ça ne changera rien, répondit-il, avec un grand sourire.
La conversation avait ainsi continué, dans cette fausse gaieté, jusqu’à ce que qu’elle prononce les mots banals mais tranchants : « C’est fini entre nous. »
A cet instant, il avait senti le sol se dérober sous lui et l’abîme l’aspirer avec violence. Alors qu’il sentait sa poitrine imploser, son souffle augmentait en puissance, tel un ouragan naissant. Elle avait vu son trouble mais avait fait semblant de ne rien remarquer. Il se calma. Ils firent alors une dernière chose ensemble, ironie du sort, ils réglèrent l’addition en laissant un généreux pourboire puis se dirigèrent vers la sortie. Elle prit un taxi…
Il marcha, puis s’asseyant sur un de ces bancs qui jalonnent le boulevard, prit quand même le parti de terminer son texte.
Mon amour pour toi est un poème jamais écrit
Mes mots se perdent quand je crie
Le vent emporte
Mes sentiments à ta porte
Tout confus sont-ils
Mon amour est volatil
Comme ces ‘‘je t’aime’’ se cognant contre
La pudeur d’une nouvelle rencontre
Lui seul sut à ce moment ce qu’il donnerait pour pouvoir remonter le cours du temps. Il voulut des épaules pour s’appuyer et n’eut que les siennes propres. Il se sentit seul, terriblement seul. Il mit son âme à nu et pleura chaudement. Par bonheur, il se mit à pleuvoir et personne ne vit ses larmes.











Jean-Elie François

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